Idées reçues sur la médiation

Christelle FORT

Juillet 2021

Les modes alternatifs de règlement des différends ont le vent en poupe. La Médiation est aujourd'hui "à la mode". Mais combien savent qu'il existe différentes étapes à la médiation et qu'il n'est pas nécessaire d'attendre le Conflit pour l'utiliser.

La notion de médiation suppose t’elle l’existence avérée d’un conflit ?
Depuis quelques années, on voit fleurir la notion de médiation, souvent présentée comme Le remède aux différents litiges qui émaillent le parcours de nos vies. Recourir à un tiers qui, par son entremise, peut permettre aux parties en présence de rétablir le dialogue pour qu’ainsi elles tentent de bâtir une solution consensuelle, évite d’avoir à recourir à la Justice, aujourd’hui souvent présentée comme longue, chère et surtout dont les décisions sont souvent difficiles à appliquer.
Dans l’inconscient collectif, la médiation présuppose donc un litige avéré. D’ailleurs, qu’il s’agisse de médiation judiciaire ou conventionnelle, les textes en vigueur [1] intègrent tous les termes de « résolution amiable de leurs différends » dans la définition de la médiation.
Ce processus serait-il donc réservé au règlement des seuls différends avérés ? C’est effectivement ce que tout un chacun peut penser à parcourir les publications (très nombreuses et diverses) sur ce sujet.
Se limiter à cette vision de la médiation est toutefois beaucoup trop restrictif car la médiation peut aussi être un processus pour éviter les différends. Beaucoup moins connue et documentée, la médiation de projet devrait pouvoir se développer pleinement en particulier au sein des entreprises où les projets sont foison et le temps précieux. En effet, son objectif principal repose sur la fixation de « bases solides d’un projet en privilégiant l’écoute et l’expression de toutes les parties prenantes, en accompagnant la recherche des solutions qui répondent aux besoins de tous, en favorisant la créativité dans une démarche de co-construction pas à pas »[2] . Elle doit néanmoins s’accompagner d’un volet préventif consistant à faire en sorte de discerner les signes annonciateurs d’un conflit pour que les actions nécessaires à la résorption (du latin resorbere « avaler à nouveau ») soient mises en œuvre au plus vite.

L’entreprise, source de projets multiples est le lieu privilégié pour la médiation
La médiation est susceptible d’être appliquée à tout type de projet [3] qu’il soit intra-entreprise ou interentreprises. En effet, l’entreprise (les entreprises) est un lieu où se met en place nombre de projets, où les intervenants échangent, se réunissent, s’écrivent mais où l’écoute, la compréhension et le partage sont loin d’être parfaits. La conséquence en est souvent la dérive voire l’échec du projet concerné car la donnée fondamentale trop souvent négligée dans un projet, c’est la personne. Des outils de management de projet, il en existe pléthore mais il manque souvent l’outil permettant de d’organiser, de structurer et de maîtriser la ressource première et incontournable de tout projet à savoir les acteurs de ce projet, ceux qui le demandent, qui l’organisent le réalisent, l’utilisent. Les difficultés qui se font jour ne sont pas seulement de maîtriser les relations entre les acteurs mais également de maitriser leurs avis techniques (étayés ou non) surtout lorsque ces avis émanent d’acteurs évoluant dans des disciplines (le métier vs la technique vs la finance vs la fiscalité vs le juridique …) ainsi que dans des cultures (d’entreprises, géographiques, culturelles …) différentes, tout en prenant en compte les différentes temporalités de ces relations : temps court pour la gestion des tensions relevant des pouvoirs et contre-pouvoirs en présence/ temps moyen s’agissant de la faisabilité et des intérêts en présence/temps long pour les conséquences à terme du projet notamment sur les individus .
Tous, y compris le manager du projet, ont leurs propres besoins, leurs contraintes personnelles ou professionnelles, leurs intérêts immédiats ou à terme, leurs limites connues ou inconnues et surtout leurs projections. Tous, ou la grande majorité d’entre eux, ont horreur du conflit ou à tout le moins de l’opposition et vont développer maintes stratégies d’évitement quitte à s’oublier pour se fondre, un temps (mais un temps seulement) dans la majorité. Au-delà des difficultés relatives à l’adhésion des parties prenantes autour d’un besoin et de contraintes communes, un projet n’est pas statique, immuable. Dès sa naissance, il vit, évolue, change, s’adapte. Cette réalité, toujours difficile à entendre pour nous autres occidentaux qui voulons tout maîtriser, tout contrôler tout le temps, qui, en un mot comme en cent, redoutons le changement, est néanmoins incontournable.
Lorsqu’on analyse les causes identifiées de l’échec ou du succès des projets [4] , on s’aperçoit que l’humain, la communication entre les personnes, les services, les niveaux hiérarchiques sont les éléments principaux qui conduisent à considérer qu’un projet est ou non une réussite. La nécessité de mettre en place un processus structuré permettant à chaque partie prenante d’exprimer ses souhaits et contraintes, d’entendre ceux des autres, de construire ensemble le contenu de la phase amont du projet auquel tous adhèrent (y compris les prestataires externes) en connaissance de cause est incontournable si l’entreprise veut (simplement…) sécuriser ses investissements.
Se contenter de définir le besoin initial (puis y faire adhérer en connaissance de cause un ou plusieurs prestataires), même si cela constitue déjà un grand pas en avant vers le succès du projet, est bien loin d’être suffisant et ne permet pas de faire en sorte que le dialogue initialement établi perdure. Détecter au plus tôt les tensions, identifier les risques d’incompréhension voire de conflits, désamorcer les désaccords entre les acteurs du projet est indispensable non seulement au stade initial de définition du projet mais également durant son exécution puisque le principe est que le besoin va évoluer.

En quoi doit-elle être distinguée d’autres instruments externes de gestion de projet ?
A ce stade de la démonstration, il convient de poser en quoi la médiation de projet doit être distinguée du coaching et de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage même si la lecture de divers articles publiés à ce sujet sur internet peut donner à penser que les sociétés spécialisées dans le conseil et l’assistance à maîtrise d’ouvrage sont les mieux à même de prendre en charge ce processus. Déjà en place, disposant d’outils supposés aidés à gérer le relationnel entre les différents intervenants au projet et quelquefois, de l’aura de grands cabinets de conseil, il est, pour elles, tentant de se positionner sur ce nouveau marché qui porte un nom évocateur, que l’on entend aujourd’hui partout et dans tous les domaines de la société, la Médiation. On ne saurait leur reprocher puisqu’il n’est pas nécessaire, aujourd’hui, d’afficher un diplôme particulier ou une quelconque expérience pour se prétendre médiateur (hors le cadre de la médiation judiciaire) et quelques heures de formation portant le nom de médiation peuvent donner l’illusion que les techniques affichées sont maîtrisées (reformulation, roue de Fiutak, PNL, CNV…). Outre que ce galvaudage porte préjudice à ceux qui ont tenu à se former auprès de vrais spécialistes (et à poursuivre sans relâche leur formation) et qui mesurent jour après jour l’ampleur de la tâche qui leur reste à accomplir sur eux-mêmes pour rester sur et poursuivre le chemin pour, peut-être un jour, parvenir à se défaire du besoin de maîtriser et s’attacher simplement à celui de « servir » [5] , il parait manquer à ces sociétés, même bien intentionnées et formées, des postures et des valeurs qui ne peuvent que leur faire défaut dans ce costume qu’elles entendent enfiler. S’agissant des postures, l’assistant à maîtrise d’ouvrage est généralement l’homme (ou la femme) du manager de projet, il est celui qu’il a choisi pour l’accompagner dans la gestion de son projet, à qui il va déléguer tout ou partie de la définition et de la mise en œuvre opérationnelle du projet, un sachant dont on attend à tout le moins les conseils et quelquefois les décisions. Cet assistant à maîtrise d’ouvrage est donc partie prenante du projet, il lui sera difficile de donner une direction pour ensuite reconnaitre qu’il est nécessaire d’en changer car l’autre (les autres) partie(s) prenante(s) a (ont) raison. Accepter la remise en cause permanente le discrédite vis-à-vis de son donneur d’ordre. Si le manager de projet a fait appel à lui, c’est qu’il est sensé savoir et conduire à la solution. Certes, il peut être en mesure d’identifier les non-dits et les sources de conflits mais ce qui est attendu de lui, c’est à minima de recommander la solution à adopter pour que le projet aboutisse (quelquefois coûte que coûte).
Le médiateur, quant à lui, va être le révélateur, pas au sens de celui qui dit mais au sens photographique, celui qui aide à rendre visible l’image latente. Il va faire se poser les questions, la Question, celle qui gêne mais à laquelle il est indispensable de réponde pour avancer sur le chemin de la montagne « Projet ». Il n’a pas à être compétent dans le domaine technique du projet (mais il peut l’être, avec dans ce cas une nécessaire vigilance à se défaire de la fâcheuse tendance humaine à orienter vers la solution qui lui parait celle à adopter), il n’a pas à juger de la pertinence des avis qu’il amène à exposer, il n’est que le moyen, pas la solution. Il doit être l’éclairagiste du projet, pas du manager de projet, pas de la direction générale, pas des parties prenantes, seulement du projet. Il doit mettre en lumière, au moment opportun, ce qui est nécessaire, pour que soit vu ce qui doit être vu, pour que le dialogue s’établisse, se maintienne, se rétablisse ou s’interrompe en connaissance de cause entre les parties prenantes. Par ses principes déontologiques, il a un devoir d’impartialité et de neutralité. Certes, il va être introduit dans le projet par une des parties prenantes (la direction, le manager de projet…) mais il ne lui rend pas compte, il peut à tout moment se retirer et il n’est pas intéressé à la bonne fin du projet. Que celui-ci parte à droite ou à gauche, peu lui importe du moment que ce chemin résulte du dialogue entre les parties prenantes et qu’elles aient en toute conscience décider de le partager ensemble. C’est notamment cette impartialité et cette neutralité qui vont conduire l’ensemble des parties prenantes à lui accorder leur confiance et à oser s’exprimer, à être force de proposition ou d’opposition. Le médiateur a pour mission d’amener les parties prenantes autour de la table pour tenter de coconstruire le projet, ce qui ne signifie, bien entendu, pas que tout le monde va mettre la « main à la pâte » mais uniquement que chacun ayant pu exprimer ses souhaits, volontés, contraintes, refus, il sera mieux à même d’adhérer au résultat final même s’il n’est pas le miroir de ses attentes car il a entendu puis compris pourquoi il ne pouvait pas être ce miroir (ce qui a, en plus, toutes chances de faciliter la conduite du changement car il est difficile de résister à quelque chose qu’on a soi-même contribué à construire). Autre principe déontologique s’imposant au médiateur susceptible de renforcer la position du médiateur par rapport à d’autres, la confidentialité va permet à chacune des parties prenantes d’exprimer librement ses attentes, besoins, peurs, réserves, ses colères aussi. Certes, il parait plus difficile, dans le cercle d’une médiation de projet, que la confidentialité soit aussi strictement respectée que dans une médiation sur conflit mais elle est néanmoins un postulat indispensable tout comme le principe consistant pour le médiateur à veiller en permanence au consentement libre et éclairé des parties prenantes (internes comme externes). Même s’il est illusoire de croire que l’entrée de l’ensemble des parties en présence dans le processus de la médiation de projet va résulter de leur seule (bonne) volonté et que la suggestion appuyée de leur hiérarchie, de leur client, de leurs pairs n’aura pas pour effet de les contraindre à accepter d’y rentrer mais il importe que le médiateur soit vigilant car, dans le contexte d’une médiation de projet, le retrait du consentement (ou la réticence à participer) sera plus certainement le signe d’un conflit né ou à naître.

La médiation de projet : un outil de bonne fin d’un projet.
Choisir de faire appel à un médiateur dans le cadre d’un projet à bâtir (quel que soit le stade où on décide de faire appel à lui) est l’outil relationnel qui manque à une majorité de managers de projet. Faire intervenir ce tiers est un moyen d’éviter le choix qui tue le projet parce qu’il est imposé et vient à l’encontre des autres ou d’une partie d’entre eux, la perte de la confiance si dure à acquérir et si facile à perdre car comment faire confiance à quelqu’un qui n’écoute pas et ne prend pas en compte, c’est aussi et surtout reconnaitre que ses limites et son besoin d’assistance n’est pas un signe de faiblesse mais un signe de force. Admettre le « Je sais que je ne sais pas» [6] (ou, soyons indulgents pour nos egos, que je ne sais pas tout) protège de la certitude que notre approche est la seule possible, de l’ignorance de ce que l’autre a à apporter et ouvre le champ de la recherche d’une solution, si ce n’est commune, à tout le moins acceptable.
Pour finir, intégrer la médiation à toutes les étapes d’un projet complexe apparait comme un gage de bonne gouvernance de projet au même titre que tous les outils de cadrage, planification, de comitologie… en ce qu’elle peut permettre de prévenir les dysfonctionnements et conflits potentiels et donc de sécuriser la bonne fin des projets, ce qui, du point de vue de l’entreprise, est un avantage aussi bien en terme financier qu’en terme de performance mais surtout elle permet de sécuriser la paix sociale. C’est également un élément de sa gouvernance s’agissant de sa responsabilité sociétale et environnementale car, aujourd’hui, une entreprise ne peut fonctionner sans en tenir compte. Il en va notamment ainsi de son image en interne mais surtout et avant tout en externe car elle ne peut fonctionner dans la bulle, elle impacte et est impactée par l’ensemble des acteurs qui gravitent autour d’elle et autour desquels elle gravite [7].

Christelle Fort
Ancien Directeur Juridique
Avocat inscrite au Barreau de Poitiers
Formée à la médiation

07/07/2021


Notes de l'article:

[1] Médiation judiciaire cf article 21 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative / Médiation conventionnelle cf art 1530 du Code de procédure civile.

[2] https://www.mediation-drome.com/mediation-de-projet

[3] Définitions :
« Un projet est une action spécifique, nouvelle, qui structure méthodiquement et progressivement une réalité à venir, pour laquelle on n’a pas encore d’équivalent » AFNOR. « Le projet est un ensemble d’actions à réaliser pour satisfaire un objectif défini, dans le cadre d’une mission précise et pour la réalisation desquelles on a identifié non seulement un début mais aussi une fin » AFITEP - Dictionnaire de management de projet « Processus unique qui consiste en un ensemble d’activités coordonnées et maîtrisées comportant des dates de début et de fin, entreprises dans le but d’atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques telles que des contraintes de délais, de coûts et de ressources » ISO10006 - 1997.

[4] On peut se reporter utilement pour les projets numériques par exemple aux études réalisées à périodicité régulière depuis 1994 par le Standish Group qui analyse l’état de l’industrie du développement logiciel.

[5] « Si je veux réussir à accompagner un être vers un but précis/Je dois le chercher là où il est, et commencer là, justement là/Celui qui ne sait pas faire cela, se trompe lui-même/Quand il pense pouvoir aider les autres/Pour aider un être, je dois certainement comprendre plus que lui/Mais d’abord comprendre ce qu’il comprend/Si je n’y parviens pas, il ne sert à rien/Que je sois plus capable et plus savant que lui/ […] /Et c’est pourquoi je dois comprendre qu’aider/N’est pas vouloir maîtriser, mais vouloir servir/Si je n’y arrive pas/Je ne puis aider l’autre » Soren Kierkegaard, philosophe danois (1813-1855).

[6] Socrate - Philosophe grec - 5ème V av JC.

[7] Cf Les 4 catégories de la responsabilité sociétale de l’entreprise envers la société selon Archie B. Carroll (Professeur Emérite au Terry College of Business, Université de Georgie).